
Extrait du « Destin de la Géorgie » de Nikoloz Baratachvili. Traduit du géorgien d’après Serge Tsouladzé.
Le 11 décembre dernier, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), en collaboration avec le Goethe-institut et la Représentation de l’État de Bavière au Québec, ont tenu une table ronde sur la traduction et ses subtilités dans la poésie. L’événement organisé par Manfred Stoffl, le directeur du Goethe-institut, réunissait deux professionnels : Gilles Cyr, un poète et traducteur habitant Montréal, et Michael von Killisch-Horn, un traducteur littéraire allemand.
Pendant le tour de table d’une heure et demie, nous avons eu le privilège d’entendre une série de poèmes qui furent lus d’abord en français, puis en langue allemande. La première série d’extraits de poèmes dataient des années 1990. À mesure que la discussion progressait, nous avons eu droit à la lecture d’extraits plus récents, et de plus en plus longs.
Cependant, la discussion ne se limitait pas qu’à la présentation des poèmes en français et en allemand. En effet, les présentations étaient occasionnellement interrompues pour donner lieu à des périodes de questions-réponses. La première question que Stoffl a posée à ses invités concernait les impressions de ceux-ci lors de la lecture de leurs propres poèmes et des traductions qui en avaient été faites. Selon Cyr, il est important que les poèmes soient traduits afin d’être accessibles aux lecteurs des langues cibles. Cyr a aussi mentionné que les petits pays traduisent souvent leurs propres œuvres afin d’obtenir la reconnaissance de leur culture à l’échelle internationale, et pour comprendre comment les autres lecteurs et poètes perçoivent les poètes de leur patrie.
Pendant le premier tour de table, nous avons appris que Cyr et Killisch-Horn partagent une difficulté commune : ils n’ont pas la connaissance approfondie de certaines langues étrangères. Cyr ne maîtrise pas le coréen, tandis que Killisch-Horn ne maîtrise pas l’hébreu. Or, les deux professionnels ont eu à travailler avec ces langues respectives durant leurs carrières. Mais comment des traducteurs peuvent-ils travailler avec des langues qu’ils ne maîtrisent pas? C’est simple : lorsqu’ils font des traductions littéraires, les traducteurs collaborent avec les auteurs ou avec une autre personne. Souvent, les autres parties maîtrisent la langue source (ou les langues sources) en question. Dans une telle situation, les traducteurs révisent simplement les traductions pour s’assurer qu’elles sont conformes aux textes sources. Si certaines erreurs se sont glissées, les textes cibles en question sont corrigés avant qu’on s’attaque aux prochains. Il s’agit, selon Cyr, d’une procédure normale pour tout traducteur, poète, auteur ou dramaturge. Sachez que Cyr travaille en équipe pour traduire des œuvres littéraires de l’arménien vers le français ; il traduit de l’italien et de l’anglais vers le français par lui-même. Killisch-Horn, pour sa part, traduit du français, du portugais, de l’espagnol et de l’italien vers l’allemand. De plus, nous avons appris que Killisch-Horn traduit plus que des poèmes : il travaille aussi avec des romans, de films et des séries télévisées.
Quels sont les plus grands défis concernant la traduction pour Killisch-Horn et Cyr? Pour Killisch-Horn, le plus grand défi est de respecter les textes et les styles d’écriture des auteurs. C’est également un défi de reproduire un texte littéraire ou poétique dans une langue cible, car le traducteur doit comprendre les différences culturelles de tous les lecteurs des langues cibles. Pour Cyr, le plus grand défi est de travailler avec d’autres langues; les traducteurs doivent saisir les structures de phrases variées des textes sources. Par exemple, beaucoup d’histoires provenant des cultures occidentales débutent avec la phrase d’ouverture « Il était une fois… ». Cependant, dans des langues comme le coréen, une telle structure n’existe pas; au lieu de cela, les histoires commencent avec : « Lorsque les tigres fumaient des cigares… ». Au premier coup d’œil, la différence entre l’écriture des cultures occidentales et orientales est frappante. Mais Cyr nous rappelle que les phrases d’ouverture comme celles en coréen ne sont pas un concept étranger : les histoires de langue française débutaient souvent de la même façon. Nous avons aussi appris que les poètes coréens écrivent de la poésie de style libre ; par contre, en français, les poèmes sont écrits avec une forme stricte en tête. La grammaire est un autre défi : le coréen, par exemple, ne fait pas la distinction entre les noms au pluriel et au singulier.
Comment les traducteurs littéraires arrivent-ils à vivre de leur travail? Killisch-Horn nous a dit qu’il n’est pas facile de rentrer dans son argent, car les traducteurs comme lui sont souvent sous-payés. Pour éviter cette difficulté, Killisch-Horn nous a rappelé qu’il est important d’accepter chaque projet qui nous est proposé, spécialement pour les traducteurs qui n’ont pas de second emploi ou une autre source de revenu.
Après la lecture d’une autre série de poèmes et leurs traductions, Stoffl a invité le public à poser des questions. J’étais curieux de savoir comment Cyr s’assurait de la fidélité de ses traductions alors qu’il ne possédait pas de connaissance approfondie des langues sources en question. Je voulais aussi savoir s’il était possible de traduire n’importe quel texte quand un traducteur a des notions active ou passive d’une langue. Pour répondre à ces questions, Cyr a informé le public que la Corée a mis en place une politique culturelle proactive qui aide les réviseurs à s’assurer que les textes cibles soient fidèles aux textes sources. Contrairement à beaucoup de traducteurs, Cyr lit les traductions aussitôt qu’il les reçoit pour s’assurer qu’elles sont conformes avec la syntaxe et la grammaire française. (Il ne lit pas le texte source plusieurs fois avant de le traduire.) Pour ce qui est des notions, c’est important d’avoir une certaine connaissance des thèmes, des traditions et des styles propre à la culture source ou à la langue source.
Ce fût un plaisir d’être présent lors de cette table ronde! J’ai aimé apprendre comment Cyr et Killisch-Horn gèrent les difficultés et les défis auxquels ils font face dans leur carrière. Et, bien sûr, j’ai aimé écouter leur magnifique poésie.
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Ce billet a été traduit d’après Mariko Beaupré. Elle est traductrice pigiste de l’anglais et de l’espagnol vers le français, ainsi que réviseure et rédactrice de langue française. Pour en savoir davantage sur son travail et lire ses billets de blogue, visitez son site internet. Vous voulez lire la version originale anglaise de ce billet? Cliquez ici.
On remarque de suite que vous maîtrisez très bien le thème